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Petits secrets d’une photo de Gainsbourg

De ces quelques photos (quand même très originales), le photographe Xavier Martin en a fait un livre qui se lit d’autant mieux qu’il fourmille de ces petits détails annexes qui font le sel d’une histoire. Celle qu’il raconte, c’est sa rencontre avec Serge Gainsbourg. Il est déjà célèbre mais pas assez pour que Paris Match accepte de publier un cliché de lui, mais de lui tout seul. Pourquoi cette lubie ?  La seule fois où il a eu les honneurs de Match c’est en photo avec Mstilslav Rostropovitch. Le violoncelliste fêtait son anniversaire à l’Elysée-Matignon. A l’époque on y croisait aussi bien Alain Delon que les Stones.

L’histoire, c’est cette question du chanteur au photographe : « Que faut-il faire pour passer dans Paris-Match ? ».  Il le demande, mais en plaisantant à moitié. Comment faire pour être en photo -mais tout seul- dans Match. On lui propose bien un cliché en famille avec Jane et les enfants. Mais, allez savoir pourquoi, il veut être seul. De fait être admis dans les pages du magazine ressemble à une formidable consécration.

Voilà la base de ces clichés assez peu courants.

Alors Xavier Martin, pour essayer de forcer les portes du grand magazine, propose à Serge Gainsbourg de le photographier dans son bain.

« Non seulement, écrit-il, il a accepté tout de suite – avec une petite remarque caustique sur sa réputation d’homme négligé qui allait enfin sauter –, mais il m’a proposé de venir dès le lendemain après-midi chez lui pour faire cette séance photo. »

On est en 1980, Gainsbourg a 52 ans, et il vient de composer « Dieu est un fumeur de havanes. » pour le film Je vous aime dans lequel il joue avec Catherine Deneuve.

L’hotel particulier de Gainsbourg Rue de Verneuil (Crédit photo Laura Emir)

Xavier Martin se rend donc le lendemain, rive gauche, rue de Verneuil dans l’hôtel particulier de Gainsbourg, dont la façade, aujourd’hui, est toujours couverte de tags -du street art de circonstance- devant lesquels certains viennent encore se recueillir.

Le photographe est arrivé avec son lourd matériel et beaucoup bain moussant. Serge est seul dans la maison. Ils discutent puis montent à l’étage et s’installent dans la salle de bains. Xavier est un peu gêné : son flash Blacar, sa base de 10 kg et son parapluie prennent toute la place.  Mais il remarque les nombreux flacons et boites d’onguent partout sur les étagères.

Il lui demande de se raser pour que lui-même puisse « ajuster ses cadrages et sa lumière ». Enfin Gainsbourg entre dans la baignoire « pleine de mousse légère et pétillante ». Après quelques échanges, quelques poses, quelques sourires, enfin la bonne prise. « Et là, c’était la photo parfaite : symétrie du cadrage, pose superbe, un de ces rares moments de grâce où naît la certitude d’avoir réussi. » Le bonheur : l’œil du photographe ne se trompe pas.

La séance avait duré deux heures et trois pellicules de 36 prises.

Xavier Martin en profitera pour demander à Serge de bien s’habiller pour un cliché devant une très belle tapisserie qu’il avait remarquée au rez-de-chaussée. Et Serge, figurant docile, revient habillé comme un dandy, costume à belles rayures et cravates du meilleur goût.

Le reportage devait paraître dans le numéro suivant du magazine. Mais, curieusement, les photos seront oubliées par Paris Match. Et ne seront publiées dans l’hebdomadaire que trente ans après, qu’en 2014, bien après la mort de Gainsbourg. Elles seront aussi exposées ensuite à Beaubourg.

Xavier Martin confie volontiers que de toute sa production ce sont ces clichés dont on lui parle le plus souvent…

Gainsbourg rue de Verneuil – Histoire d’une photo mythique
Éditions Hervé Chopin
www.hc-editions.com

Par Michel Bonnin
Publié dans le numéro 101 d’Edgar magazine.