Sous le signe de l’espoir, la fondatrice de la Biennale Manifesta a établi la 14ème édition de la célèbre manifestation à Pristina au Kosovo. Du 23 juillet au 30 octobre prochain, elle invite le monde de l’art à se pencher sur les problématiques culturelles dans les Balkans et nous fait la démonstration des atouts artistiques de ce pays surprenant !
Si Manifesta 14 attire à Pristina, depuis son ouverture le 22 juillet dernier, la crème des acteurs du monde de l’art venue du monde entier, cette plateforme unique en son genre est avant tout un tremplin et une vitrine hors du commun pour les jeunes artistes locaux. En effet, la jeune république des Balkans relève ici un défi de taille en dévoilant au monde entier le pouvoir de sa scène culturelle vibrante engagée et en faisant oublier, dans un même temps, les ravages de la guerre ainsi que les tensions persistantes avec la Serbie. Comptant parmi les pays les plus pauvres d’Europe, le Kosovo sait que la moyenne d’âge de sa population (inférieure à 30 ans), est un atout de taille avec lequel il faut désormais compter. Et jusqu’au 30 octobre prochain, celle que l’on appelle déjà la « Biennale des Balkans » – succédant aux éditions de Palerme en 2018 et de Marseille en 2020, démontre chaque jour davantage sa capacité à renverser les clichés et questionner les esprits en faisant renaître sous forme de débats publics les grands sujets du monde de l’art contemporain sans jamais perdre de vue ce que furent les démons au cœur de ce que fut la « Poudrière des Balkans ».
Faisant la part belle aux artistes kosovars (34 artistes dont le plasticien qui monte et dont on parle Petrit Halijaj) et plus largement des artistes des Balkans, l’évènement ne se prive pas d’accueillir quelques personnalités comme l’Américaine Roni Horn, le Suisse Ugo Rondinone, la Japonaise Chiharu Shiota, la Coréenne Lee Bul, la Palestinienne Emily Jacir, la croate Hana Miletic et l’Albanais Adrian Paci. Pour sa participation à la Manifesta, l’artiste star multi medias Driant Zeneli (qui représenta le Pavillon Albanais lors de la Biennale de Venise en 2019), présente la vidéo à destination des enfants « The Animals, once upon a time in the present time ». Il nous confie ceci : « Manifesta 14 a ceci d’exceptionnel qu’elle apporte non seulement un regard et un éclairage sur Pristina mais aussi sur toute la région des Balkans, avec le Monténégro, la Macédoine du Nord et l’Albanie, sous le prisme d’une revitalisation urbaine avec des bénévoles venus de toute la société civile qui s’approprient et repensent l’espace urbain ».
Offrir de nouvelles perspectives.
Sous l’égide de sa directrice et fondatrice visionnaire, la Néerlandaise Hedwig Fijen, Pristina se fait le porte-voix des plus brillants artistes et curators de leur génération dans une région et un territoire artistiques méconnus et isolés. La brillante historienne de l’art sait que les cent artistes participant sont parvenus à transformer ensemble le temps de cette Biennale la capitale du Kosovo en musée d’art contemporain à cœur ouvert tout en s’appropriant l’espace public et en faisant parler du pays sous les meilleurs auspices, ce que seul l’art est en mesure d’offrir. Un challenge donc parfaitement réussi pour la fondatrice qui lança la première édition de son évènement en 1996, juste après la chute du Mur de Berlin et qui sait que deux décennies seulement séparent le Kosovo d’une guerre sans nom.
C’est pourquoi Catherine Nichols, la brillante commissaire retenue pour cette édition, qui fait déjà date, a choisi pour cette biennale un titre apte à contenir à lui seul cet enchevêtrement d’histoires et de passions. En effet, la curatrice (et autrice australienne installée à Berlin) a choisi cette phrase énigmatique inspirée par la philosophe américaine Donna Haraway : « It matters what worlds world worlds how to tell stories otherwise »… Marquée aussi bien par les vestiges de l’Empire Ottoman, les reliquats de l’ère communiste que les balafres profondes de guerre, Pristina accueille un programme exigeant et pointu de performances, d’ateliers et d’expositions dans des lieux emblématiques de la ville, tels le Grand Hotel qui connut ses plus belles heures sous la période yougoslave, le monumental Palais de la jeunesse et des sports spectaculaire avec son architecture brutaliste, l’ancienne et historique bibliothèque Hivzi Sylejmani ou encore la Bibliothèque nationale du Kosovo.
A noter, l’approche développée par l’architecte-ingénieur italien Carlo Ratti du Massachusetts Institute of Technology pour la question urbanistique des flux et des usages. Ce « creative mediator » nous permet de comprendre très bien l’essence de Manifesta 14 qui entend bien transformer le domaine public et être le catalyseur du changement social en mesure d’offrir de nouvelles perspectives. Hors des sentiers battus. Certains bruits de couloirs laisseraient penser que la très pionnière Manifesta pourrait bien se retrouver à Kiev en 2028…. A bon entendeur !
Journaliste spécialisé en art contemporain et design, Clément Sauvoy est également commissaire d’exposition et collectionneur.
Contact Instagram