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Matan Zaken, palpitant virevoltant

Les dix-huit couverts, sur table unique, font la signature de Nohme. Du coté du Palais Royal, ce restaurant gastronomique, référencé au Michelin et Gault&Millau, associe la créativité à la saveur savamment décalée. Et le chef assure le service !

Premier restaurant du chef Matan Zaken, au firmament de son art, Nohme se situe à mi chemin du concept et de l’expérience culinaire singulière. On aime ici, au 41 rue de Montpensier, le tourbillon culinaire qui dé-codifie en sur mesure les choses dès l’amuse-bouche et qui bouleverse allègrement les approches réfractaires à l’idée de réinterprétation. Répondant au slogan «  table unique, unique menu », les assiettes sont radicales dans leur exécution comme dans l’énergie joviale qui les habitent. On sait dores et déjà que nous serons sur huit séquences d’un menu à l’aveugle. Face au théâtre du Palais Royal, cette « méthode » inattendue se vit quatre soirs par semaine dans une salle voûtée portant l’élégante signature de Studio leLAD. L’architecte-designer Guillaume Terver est parvenu à exprimer l’idée du « Home Sweet Nhome » dans un « chez le chef » et un plaisant « entre nous » qui plonge le convive dans une relation gastronomique perturbante (au début) de proximité célébrant une convivialité de groupe et de famille. La configuration ne permet pas de face-à-face. Elle privilégie en revanche une nouvelle morale dans un côte-à-côte apte à questionner chaque bouchée dans un rapprochement intimiste, jamais invasif, accueillant la surprise sous cette pierre brute et nue. L’hyperactivité, dans un « but en blanc » constant, atteste d’une franchise et d’une sincérité qui se jouent ensuite dans l’assiette. Cette liberté de ton et de pensée sait s’autoriser le « show » sans perdre de vue la précision, la rigueur et la quête du meilleur produit de saison. Autre élément caractéristique qui témoigne de l’attention du chef franco-israëlien portée au processus créatif dans un art de la table distillé dans chaque détail : la vaisselle, en pièces uniques, a été façonnée par la céramiste Amanda Haeghen.

Les propositions ici se font à l’instinct dans un renouvellement perpétuel. Cette force de vie opère à chaque minute dans ces seulement 20 m2 de salle. C’est magique et contagieux. Accueilli dignement au service par Maël Ben Attia on se lance : la ravissante huître Cadoret N°3 géranium, grenade, sumac nous éblouit avec un Riesling en Pinot Gris de la colline de Rotenberg dont les coteaux orientés nord-ouest lui offrent des notes automnales de châtaigne presque toastées. Dans la foulée, l’anguille fumée, foie gras, oignon et navet nous transporte. Un pur ravissement terre-mer. On boit depuis l’assiette le bouillon aux parfums de radis d’aïkon aux notes poivrées. On poursuit avec la sucrine cuite basse température et finie à la braise associée au cresson, poire saumurée avec caviar Kaviari. Un moment de joie. Un vin corse de Figari nous réjouit avec son caractère estival aux notes de vanille et de citron vert. Le sommelier Johan Demeulemester, maîtrisant parfaitement son sujet, suggère ce jeune vermentino en biodynamie qui annonce l’arrivée du magistral turbot chips topinambour rôti au beurre noisettes et chouchen en gel apportant acidité fermentation et gourmandise. Un vin du Lot&Garonne 100% chardonnay nous comble à son tour. Autre merveille : le cerf morilles des Pins passé au barbecue et laqué au jus travaillé avec du cerfeuil et avec sa raviole ouverte farcie avec l’épaule de cerf confit. Un vin de chasseur questionnera le gibier.

Un Crozes-Hermitage du magnifique Domaine des Lises honore les parures de choux, la duxelle de céleri et les champignons passés au beurre noisette. Soudain, la Carotte de la pâtissière Marisha Shukla nous sidère par sa créativité. Cette dernière se présente sous un lumineux mélange d’agrumes : clémentine, cédrat, kumquat, bergamotte avec son jus de carotte infusé au safran. Divin. La Mûre, dessert d’auteur, est travaillée en trois états (frais, congelée, coulis) et feuille de figue mûre. On a (quelle beauté) le cuir de tonka, le praliné, les amandes, le piment rouge et la quenelle de glace. Enfin, le cacao caramel noix de pécan, crème de miso, glace de gruyère de cacao nous emmène de coté de Sao Tomé-et-Principe, ce petit état insulaire près de l’équateur. La pâtissière, qu’on se le dise,  est exceptionnelle. 

On se dit que cette philosophie généreuse de l’allant, caractéristique du chef trentenaire obsessionnel, a pris naissance chez Greg Marchand au Frenchie Covent Garden à Londres, chez Christian Le Squer (Four Seasons Georges V) et chez Sven Chartier (Saturne) avant de poursuivre sa trajectoire dans la quête enthousiasmante de moments inoubliables. Tout débute toujours au marché des chefs Président Wilson où l’imaginatif Matan, « coqueluche des foodies » s’approvisionne en produits fétiches aux aurores en nous rappelant que la sensibilité d’une cuisine, c’est l’âme et l’envie que vous lui donnez. Attablé à proximité des fourneaux, on questionne une dernière fois ses « saveurs embrassées » allant de la petite bouchées, à l’iode, au végétal, à l’animal, à la mer, au « peu de sucre » et au « take a guest » de la mignardise cultivant autant la transmission,  l’impulsion des envies que l’excitation liée à des moments de vie hors les murs. En quittant les lieux, on garde en mémoire un service décalé et soudé d’une rare civilité, la précision de plats aux goûts extrêmement francs et un chef qui fait acte de brio aux yeux de tous ! www.nhomeparis.com

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