Aux commandes de la table étoilée de l’Ecrin au Crillon, ce chef éclairé livre ses délices sous le signe d’un menu-mystère où le choix initial du vin conduit à la préparation des mets. Un renversement de l’accord mets et vins où l’expérience bouscule les codes. De l’ouvrage d’art !
Précise, sophistiquée, sans concession… L’intransigeante cuisine de Boris Campanella ( Photo ci-dessus Crédit : Victor Bellot) régale, cajole et choie le convive sous des effets de surprise exacerbés dans cet espace-joyau de l’un des plus légendaires palaces du monde. Ici, c’est un trio, parfaitement rodé et synchronisé, qui opère et conçoit des menus en trois, cinq ou sept séquences répondant aux attentes les plus exigeantes. Porté par une mécanique de précision douée de sincérité et d’aisance, la maestria du chef s’entoure de la virtuosité de ses deux acolytes : le chef sommelier Xavier Thuizat (Un des trois sommeliers français, et seul encore en exercice, à avoir reçu le titre prestigieux de Saké Samouraï) et le très médiatique chef pâtissier Matthieu Carlin. On sait, dores et déjà, que ce sera le vin qui viendra rythmer l’accord lors de cette dégustation en cinq plats, princière et déroutante au sommet. Un divin Choux Fleur Roti&Cru ouvre le bal et on se remémore étrangement que Marie-Antoinette séjourna au Crillon entre ses 14 et ses 18 ans. Sur ce plat d’ouverture, on navigue entre un thé vert Gyokuro Uji grand crû bu froid (dont les feuilles rares sont récoltées uniquement la nuit et en début de matinée) et le royal Petit Cheval Blanc 2019 faisant ressortir à souhaits l’intensité aromatique idéale au niveau des agrumes : curry vert et citron vert. On apprécie la merveilleuse présence du gras de cet élégant nectar amené par l’élevage.
L’arrivée du sublime Rouget&Oursin, nous convie à prêter attention à une cuisine de l’instant « sortie de l’eau » au pied de la montagne Sainte-Victoire avec le subtil château Simone : rosé de Provence et de gastronomie s’il en est. On plonge dans une ravissante infusion de cépages et de macération de tanins venus d’une base granitique aux cotés salins. Le tout-trouvé Chambolle-Musigny, qui donne écho à cette heureuse conversation, évoque des rafles à maturité avec des arômes légers, soyeux et éclatants. On réalise que l’on échappe, dans cette belle anticipation à une structure qui aurait pu être trop intense. Bien vu. Moment d’apothéose et de plénitude, l’apparition du plat suivant nous honore et nous chamboule bien que l’on ait été prévenus du concept-mystère à l’oeuvre. En effet, quand survient soudainement l’admirable bœuf wagyu et les émouvants Petits Pois à la Française, on sait qu’il faudra que l’on pousse notre logique dans ses retranchements.
Des mets sucrés enveloppants.
Le noble plat est pensé et élaboré dans la brillante association d’un sidérant Côte-Rôtie La Germine de Benjamin et David Duclaux. La cofermentation et l’entregent de ce millésime frais croise alors, contre toute attente, la route d’un renversant café colombien grand crû : l’un des cafés les moins caféinés au monde. Cet étonnant mariage nous fait penser à l’appréciable thé Uji savouré quelques minutes plus tôt et dont on avait approuvé les vertus apaisantes. On se délecte du juteux du fruit qui se marie avec l’inouïe tendresse du bœuf. La partition des desserts qui se profile, dans la continuité des trois premiers plats, confirme le raffinement qu’accorde Matthieu Carlin à ses mets sucrés enveloppants.
Ce dernier imagine un émouvant soufflé Noisette-Citron qui tend les bras à l’un des plus beaux flacons en Sauternes : l’impérial Château Rieussec 1997 sorti tout droit des illustres caves du palace dont l’immense Xavier Thuizat (Meilleur Sommelier de France en 2022) à aujourd’hui la charge. A cet instant précis, on pense à l’eau froide du Ciron se jetant dans le lit de la Garonne en créant ces nobles pourritures sous d’immenses brumes matinales aux pouvoirs fantasmagoriques. Ce vignoble de 90 hectares de terres sablo-argileuses, contigu du Château d’Yquem, livre sur cette table de l’Ecrin toute sa personnalité de vin de légende dans sa robe d’or intense. Au sortir de cette dégustation-symphonique, on réalise qu’au-delà de la quête de l’accord parfait et de l’ultime précision, c’est le caractère personnalisé de chaque assiette qui fixe le la dans un art de vivre à la française entretenant des combinaisons à la modernité sans limite. Celle que seul un trio d’avant-garde est en mesure d’offrir à ses hôtes dans cette boîte à bijoux portant l »audace d’une Marie-Antoinette, plus présente que jamais !
www.rosewoodhotels.com
Journaliste spécialisé en art contemporain et design, Clément Sauvoy est également commissaire d’exposition et collectionneur.
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