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Clément Vergeat, l’inoubliable expérience

Ce jeune chef a ouvert, il y a trois ans, le restaurant gastronomique Tamara. A deux pas de la Comédie Française, cette adresse qui a retenu aussitôt l’attention du Michelin, cultive une cuisine faisant du terre-mer une délicieuse promenade gustative. Divine découverte !

Au sein de cette adresse discrète de la rue de Richelieu, faisant face au restaurant l’Aube, l’équipe de Tamara fonctionne sur le mode de la famille. Il y a Clément le chef passé par le Pur C aux Pays-Bas et l’ex restaurant étoilé Copenhague Paris des Champs Elysées (aujourd’hui fermé) où il rencontre son actuel directeur et sommelier Félix Bogniard. Et il y a également Victor en salle le maître d’hôtel, Melissa seconde en cuisine, Sada le plongeur, Elian le chef de partie. Tous unis depuis fin juin 2020 dans cette aventure culinaire commune. L’accueil est charmant sans fausses gesticulations. On décide de partir sur le menu dit « 20.03 », célébrant la date du printemps. On sait que la cuisine sera engagée, cherchera à affirmer le produit sur de braves associations terre-mer.

On débute cet accords mets et vins dans la plus grande impatience en ayant à l’esprit que la maison défend une partition ouverte au « sans alcool ». L’amuse bouche révèle le croustillant d’épluchures de légumes sous paprica fumé et poudre de crustacés déshydratés. En bouche, la sensation crémeuse, sans lourdeur est soutenue par un champagne artisan brut nature (-3 mg de souffre) blanc de blancs du petit village de Vertus. Arrive en second amuse bouche, la fleur signature de caviar et radis aux pétales de cosmos communiant avec le coté toasté de la graine de tournesol. Vraiment ravissant. Un bouillon de langoustines et huile de poivre noir en infusion livre ensuite ses saveurs de poivre mais sans avoir les épices. Un joli nez apparaît sans agression. Le sommelier, venu de Châteauneuf du Pape et de Courthézon dans le Jura connaît bien son sujet, on est ravis. La première entrée, retentissante, nous comble avec sa queue de langoustine montée en température dans une vapeur d’algues. On garde la texture en offrant la salinité naturelle. C’est fou. Quand à la sauce, elle apporte une concentration d’iode dans l’assiette dans l’inspiration du Lardo di Colonnata. On a un merveilleux effet de transparence. Le vin, une délicate jacquère de Savoie, est tendu dans des notes de pomme fraîche Granny Smith. La seconde entrée nous laisse sans voix. L’asperge blanche des Landes et l’ail des Ours travaillé sous trois états (cuit, fermenté et cru) s’accompagne d’une tuile verte aux herbes aromatiques et d’une tuile brune aux graines de sarrasin. La sauce, elle, est à base de levure et de vin jaune du Jura (vieillissement de 6 ans et 3 mois sans ouillage). Bien vu, l’émotion est au rendez-vous.

Une puissante gourmandise sans aucune lourdeur.

On apprécie de vivre la plat aussi bien avec un jus sans alcool d’asperge infusé aux graines de sarrasin torréfié et sirop se thym qu’avec un subtil chenin sous sa profondeur bourguignonne. Le caractère végétal est pensé à la façon de l’éclosion d’une fleur. Battement de tambours avec l’arrivée du plat-maître alias le magnifique turbot cuit de manière uniforme à 62° pour conserver sa texture fantastique. Les moules montées au beurre, accompagnatrices et entières, révèlent leur extrême noblesse. En toile de fond ? La présence d’une sauce portant à bout de bras le poisson-roi. Cette pure création du chef, au coté juteux, mise sur une puissante gourmandise mais sans aucune lourdeur. Les ingrédients mettent en beauté le fromage bleu et le kimchi (piment en fermentation de choux et d’épices). En parallèle, le pain de seigle feuilleté de la boulangerie La Parisienne (meilleure baquette de Paris) nous régale au mieux.

Un surprenant vin du Macônnais du domaine Hervé Philippe (homme de l’ombre éclairé) de la cuvée parcellaire des Perrières 2017 nous réjouit avec sa trame crayeuse et son tempérament de pierre à fusil, comme si on léchait un galet. On plonge dans le grand temps fort de la dégustation avec la venue du noble pigeon de Racan (appellation de la vallée du Rhône) cuit au coffre. Présenté dans son nid à branches de sapin et fleur de sureau et sous plusieurs techniques (pickles, fermentation, déshydratation), le plat a été baptisé par le chef « Printemps préservé ». Une ode au produit et aux saisons. On retrouve toutes les parties du pigeon : les filets, la terrine des abats et les effilochés de la cuisse dans la sauce. On contemple ce tableau où dansent le cassis fermenté, la prune fermentée, les pousses de sapin en pickles et compotée de rhubarbe en pickles de trois ans et fleur de sureau en pickles. On part à l’exploration et on agrémente les bouchées sous différentes combinaisons. Quelle aventure gustative ! La surprise bat son plein dans un palais qui en redemande. On nous suggère, à cet instant crucial, un admirable vin de la vallée de la Loire, en 100% cabernet franc défendu par un jeune vigneron qui s’est lancé il y a sept ans. Les notes de cassis et de mûres croisent des tanins soyeux de fruits rouges et noirs avec une certaine concentration. Cela en est presque troublant. A l’heure du dessert, et du vacherin pêche, on oscille entre un Kombucha de thé noir Earl Grey et macération de pêche ou un kéfir de cerises confites sous de belles bulles. On aime ici les vins typés aussi appelés vins oxydatifs ou vins de voiles. La fraîcheur du dessert peu sucré, surmonté par une pellicule de meringue et glace de yahourt à la pêche et verveine, nous dit que cette table de 27 couverts, ouverte que le soir, a vraiment du répondant et laisse l’assiette s’exprimer telle une gracieuse floraison. Pas de carte mais un seul menu. On part pas dans tous le sens. La cuisine teintée de rencontres est instinctive, saisonnière et moderne. On se détache des traditions et le chef partage sa vision personnelle de la gastronomie et du monde. C’est ce que l’on appelle de la grande classe !
www.restaurant-tamara.com