En prenant des précautions d’une tiédeur redoutable, Cédric Jimenez signe un conte pro-flic post-Bataclan. Et en profite pour donner un blanc-seing aux promoteurs du port du voile. Ce qui change radicalement la donne.
Tout le monde se souvient de l’impayable exercice victimaire dans lequel Cédric Jimenez, ex-mannequin devenu réalisateur, avait entraîné le public à la sortie de son fructueux Bac Nord – suivi de peu dans la discours par un Gilles Lellouche encore aujourd’hui sous trauma. L’odieuse Marine le Pen et Eric Zemmour, que la presse imaginait alors en futur Disraeli vampirique, avaient apprécié ce polar de facture honnête. Pour en tirer un même constat sévère sur la situation de certaines « banlieues » françaises. De quoi donner des suées au metteur en scène, « minot des quartiers Nord de Marseille », comme vient de le rappeler une plume visiblement amourachée de Libération. Mais Cédric, ce grand gaillard, ne se laisse pas abattre et décide de se lancer dans un sujet hautement casse-gueule: la traque par la police française des responsables des attentats du 13 novembre 2015 ! Secondé par le scénariste Olivier Demangel, qui jurait ses grands dieux, au dernier Festival de Cannes, que jamais le duo n’aurait souhaité « filmer l’infilmable », il signe un long-métrage brillant surtout par sa distribution. Au tableau d’honneur : Jean Dujardin, Sandrine Kiberlain, Jérémie Rénier ou encore Anaïs Demoustier. Cette dernière, en jeune flic maladroite et obstinée, surnage dans la mêlée.
Cédric Jimenez (à gauche) et Jean Dujardin, son acteur principal, sur le plateau de Novembre. (photo : Rémy Grandroques)
Sus au voyeurisme
Éviter le « macabre », « l’obscène », revendique-t-on du côté de la réalisation. Ces précautions de douairière marquent un premier malaise extra-cinématographique concernant Novembre. Cédric Jimenez embraye sur cet ordre éminemment politique de ne jamais montrer quoi que ce soit des crimes commis par les islamistes – outre l’exécution d’un chien lors de l’assaut final du RAID. L’ombre plane du « pas d’amalgame ». Comme si chacun craignait, en pointant du doigt ces atrocités toutes modernes, un « rayon paralysant » pour reprendre la formule d’un tribun vieillissant apprécié des barbus. « Il aurait été impudique de filmer les attentats sur grand écran » renchérit Olivier Demangel. Saluons donc cette imprécation. Sus au voyeurisme ! Quand on repense à ces faux-jetons de Steven Spielberg (La Liste de Schindler), Roland Joffé (La Déchirure), Sam Peckinpah (Croix de fer) ou Elem Klimov (Requiem pour un massacre), prêts à se rouler dans les pires démonstrations pour tout dévoiler des travers de la nature humaine…
Anaïs Demoustier dans Novembre. Plus que convaincante en policière obstinée… (photo Studio Canal)
Un cinéaste d’action
Mais ne tirons pas sur l’ambulance. Novembre a toutes les chances de faire un carton et d’imposer une histoire des faits « ripolinée » comme dit notre président. Cédric Jimenez est un cinéaste d’action et c’est ce qu’il réussit le mieux. On lui conseillera d’éviter à l’avenir les sujets trop épineux. Son casting s’en tire dignement, de Jean Dujardin qui exorcise, dans des haussements de sourcils sévères , l’ombre d’OSS 117 à une pléthore de second-rôles bien sentis.
On ne se détournera pas également du problème de « Samia », le personnage interprété par la constante Lyna Khoudri. Et du fait que Jimenez et son affidé lui aient collé un foulard sur la tête. Alors que dans la réalité, Sonia, le témoin-clef de toute l’affaire, refusait d’en porter. C’était pour elle un symbole de coercition absolue venant de ceux qui voient dans les cheveux libres d’une femme celui de… « l’impudeur ». Revoilà le mot serpent de mer ! La boucle est bouclée. Le précautionneux tandem de 7e art au service de la propagande salaf’ ? Les producteurs ont rectifié le tir in extremis par avocats interposés. Mieux vaut en rire qu’en pleurer…
Lyla Khoudri joue le rôle de « Samia », le témoin-clef de l’affaire. Un nouveau « voile de la discorde »… (photo Studio Canal)
Nouveau genre
Reste cette spécificité – malheureusement – française auquel participe Novembre. La création d’un sous-genre cinéma « post-attentat ». N’y stagnent que des âmes mortes et des regrets, du grief et de la contrition. Pas une trace de questionnement politique, idéologique ou religieux; de la colère encore moins. Et surtout pas de « haine », ce mot totem mué tabou lorsque sont abordés les crimes commis au nom d’Allah. Rappeler la barbarie de ceux qui se sont acharnés sur les victimes du 13 novembre – et que la plume tartignolle de Libé nomme, toute honte bue, » les insensés censeurs des terrasses » ! -, ce serait donc pécher par obscénité. En attendant la sortie très prochaine sur les écrans de l’édifiant Vous n’aurez pas ma haine, cela nous promet de belles fuites en avant et autant de grands évitements des sujets qui fâchent. Cela au nom d’une résilience et d’un vivre-ensemble tout aussi altéré.
Novembre de Cédric Jimenez avec Jean Dujardin, Sandrine Kiberlain, Anaïs Demoustier… Sortie le 5 octobre.
Signature « historique » d’Edgar pour le cinéma, lecteur insatiable, collectionneur invétéré d’affiches de séries B et romancier sur le tard (Le Fantôme électrique, éd. Les Presses Littéraires).
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