Un nommé La Rocca, L’Été meurtrier, Elisa, Les Enfants du marais… Jean Becker, réalisateur de ces désormais classiques, revient avec Les Volets verts, une adaptation de Simenon avec le duo Gérard Depardieu et Fanny Ardant.
On ne sait pas si George Simenon s’est inspiré de Jean Gabin ou de Raimu pour son roman…
Dans la préface, il dit que non. Mais de quelqu’un qui leur ressemblait… Dans le roman, le personnage est très antipathique. On se demandait si Simenon aimait les acteurs. Là, le portrait de Jules Maugin, dans le livre, est très désagréable et, pour tout vous dire, fort peu intéressant. Jean-Loup Dabadie pensait la même chose et a fait un travail d’adaptation formidable en changeant pas mal la personnalité de cet acteur.
Parlez-nous le plus sincèrement possible de Gérard Depardieu…
J’ai connu Gérard, la première fois, au moment de tourner Elisa. Pour moi, ça a été absolument formidable de l’avoir comme acteur principal. Ensuite, il y a eu La Tête en friches. Avant toute chose, je pense que c’est certainement un des plus grands acteurs que nous ayons eu. Y compris parmi ceux que nous venons de citer. Alors, a-t-il un caractère difficile ? C’est un type très spécial, une personnalité hors norme, inattendue dans ses paroles. Gérard dit ce qu’il pense sans forcément penser à la portée de ses propos. Même s’il se rétracte après. Moi j’ai beaucoup d’amitié pour lui. Ses faits et gestes en dehors du cinéma ne me regardent pas. C’est quelqu’un que je respecte et je ne dirais jamais de mauvaises choses sur lui. Il a toujours été parfait au niveau du comportement. Et d’une sobriété totale sur le tournage !
Gérard Depardieu est-il le dernier monstre sacré du cinéma français ?
Absolument. Il me rappelle Harry Baur. Vous voyez ce genre d’acteur ? Comme Pierre Brasseur. Les Volets verts arpente vraiment la vie d’un acteur de cet acabit. Gérard, c’est un acteur qu’on ne dirige pas. Il prend à bras-le-corps ses personnages et vous le suivez, c’est comme ça.
Les acteurs ont-ils changé ?
Parce que nous ne faisons pas non plus du cinéma comme dans les années 50, 60 voire 70. Aujourd’hui, le cinéma est plus « mouvementé », les cinéastes n’ont plus la même façon de tourner. Aussi par le choix de sujets traités, voit-on apparaître d’autres situations, d’autres personnages. Il y a un autre « star system », qui, oserais-je dire, n’a plus la même consistance.
Votre plus gros succès public a été L’Eté meurtrier en 1983. Cela reste-t-il le meilleur souvenir de votre carrière ?
Oui. Pour différentes raisons. Le succès, évidemment, avec six millions d’entrées. Tout s’était merveilleusement bien passé, de l’écriture avec Sébastien Japrisot, avec qui j’ai fait deux films par la suite, au tournage qui a été formidable. Je garde aussi en mémoire Deux Jours à tuer avec Albert Dupontel, un autre moment fort de ma carrière. Je l’aime beaucoup.
Êtes-vous de nature nostalgique ?
Peut-être. Surtout en ce moment. Plus on vieillit, plus on pense à ce qu’on a vécu. Avec ce qui me reste à vivre, je serais presque obligé de l’être à présent. Je pense, malgré tout, avoir eu beaucoup de chance. Vivre les années que j’ai pu vivre à une époque qui n’est pas celle actuelle. J’aimerais bien que mes enfants et mes petits enfants vivent des moments plus cléments. La vie me semble plus difficile. Les gens s’adaptent. Les événements tels qu’ils se passent aujourd’hui ne me plaisent pas. Je ne suis pas très optimiste pour la suite de l’humanité. Je ne me vais pas dire que je m’en sens responsable mais un peu aussi. Les gens plus âgés restent responsables de l’avenir des suivants. Et nous n’avons pas, je crois, fait assez attention. Tout ce que nous vivons aujourd’hui, au niveau du climat par exemple, c’était dans les années 60 déjà dans les tubes. Les chercheurs l’annonçaient et nous n’écoutions pas.
Tourner Les Volets verts, qui se déroule dans les années 70, c’est manière pour vous de fuir l’époque ?
Non, c’est le film qui veut ça. Logiquement, le livre de Simenon se déroule dans les années 50. Nous avons choisi la fin des années 60, début des années 70. Mais je ne pense pas qu’on y fasse attention à l’écran. Ce n’est pas ce qui compte. L’important, c’est l’histoire d’amour entre Gérard Depardieu et Fanny Ardant. Et sur la fin d’un acteur…
Au final, aimez-vous les acteurs ?
J’ai pour eux un profond respect comme une forme de haine. J’ai le souvenir, sur un tournage, d’un chef électro s’engueulant avec un acteur. Le type avait d’ailleurs raison. Je suis allé le voir : « Tu sais, la différence entre toi et lui, sans parler de personnalité, ni de sympathie, c’est que lui est sur l’écran mais pas toi. Essaye de prendre sur toi. Le plus important, c’est de finir le film. » Les acteurs sont des enfants gâtés. Mais à qui on demande d’aller chercher des choses très difficiles en eux. Gérard, après la première projection du film, il est resté prostré plusieurs minutes. Ce n’est pas sa vie à l’écran. Mais ce sont les derniers mois d’un homme. Il s’était complètement assimilé à l’histoire.
Et Fanny Ardant ?
Si le casting d’un film est réussi, vous n’avez plus rien à faire. Il suffit de filmer et puis c’est tout. C’est le cas avec Fanny Ardant. Elle est magnifique, gracieuse et d’une justesse toujours incroyable. Elle fait aussi partie de ces artistes faites pour ce métier. Heureusement qu’elle a décidé de le faire. Elle a un talent formidable.
Les Volets verts de Jean Becker avec Gérard Depardieu, Fanny Ardant, Benoît Poelvoorde… Sortie le 24 août.
Signature « historique » d’Edgar pour le cinéma, lecteur insatiable, collectionneur invétéré d’affiches de séries B et romancier sur le tard (Le Fantôme électrique, éd. Les Presses Littéraires).
Contact Twitter