Cet ancien « bouillon » populaire, immortalisé par Emile Zola et fortement médiatisé lors de son rachat par Gérard Depardieu, entre désormais dans une nouvelle ère sous l’impulsion du Fitz Group. Après deux ans de travaux, l’institution de la rive droite entame une nouvelle destinée. Un beau retour en grâce !
L’héritage de cet établissement, célébré dans l’ouvrage du Bonheur des Dames par le maître Zola, avec sa majestueuse fontaine ayant traversé les âges, échappe au carcan de l’image d’Epinal pour vivre désormais une renaissance digne de ce nom sous l’égide de l’épicurien Guillaume Bénard, patron du Fitz Group qui défend déjà une belle collection d’adresses (Hollywood Savoy, Vesper, Abstinence, Fitzgerald) à l’esprit branché et invariablement festif. Donc, hors de question de faire de cette icône du patrimoine parisien, dans le vibrant quartier de l’Opéra, un restaurant sans pulsations ni audace. Il faut que cela se voit et que cela se vive à toutes les heures clé de la journée et de la nuit dans ce périmètre des banques, au cœur battant, à quelques encablures de la Madeleine. Pour mener à bien l’exercice, ou plutôt le « challenge », il fallait constituer la bonne « dream team », celle en mesure de porter les valeurs du groupe et de son identité culinaire visant ici une table à l’ADN bourgeoise bien dans son époque. La pièce maîtresse, apte à revisiter les grands classiques dans une approche créative ciselée et absolument sincère ? La jeune cheffe trentenaire Marie-Victoire Manoa, rompue aux pianos les plus exigeants : le Noma de René Redzepi à Copenhague, le Eleven Madison Park de Daniel Humm à New York ou encore Alex Atala au D.O.M. À Sao Paulo.
La fille et petite-fille de cuisiniers, aux origines fièrement lyonnaises, affiche un profil de choix. Nous sommes accueillis, dans le sourire, par la cheffe hôtesse Nesrine Boumédiene et le directeur de restaurant Amir Enu qui nous trouvent une belle place proche des cuisines. On se lance dans notre exploration culinaire, en faisant abstraction des hors-d’oeuvre et en commençant par deux plats de partage aux recettes emblématiques, à l’aura statutaire, ne tolérant pas d’approximation. Les ravissants escargots de Bourgogne Persillés en Coquilles illuminent l’assiette et nous disent que la cuisine traditionnelle n’est pas ennemie de la modernité. Autre incontournable, les harengs, pommes à l’huile, offrent, eux, au regard une assiette haute couture construite autour de l’idée du bien manger. On est séduits. Il y a quelque chose d’informel, de joyeux et festif dans ce plat d’amour. Le chef Sommelier David Rougier (passé par le Meurice du temps de Yannick Alléno, le Bristol et qui fut propriétaire, encore récemment, des deux bars à Vins l’Etna et le Coup d’Oeil dans le 11ème arrondissement) nous soigne avec le Pinot Auxerois Vieilles Vignes de la magnifique maison Josmeyer. Dans ce chaleureux cadre Art déco, signé par l’architecte d’intérieur madrilène Lazaro Rosa-Violan, on poursuit l’expérience avec deux entrées individuelles aussi exigeantes qu’immanquables sur la scène gastronomique française : le divin oeuf meurette parfaitement réalisé et le merveilleux Carpaccio de Saint-Jacques, agrumes et passion.
Le remarquable ris de veau aux morilles
La valeur ajoutée de la créativité et la prise en compte des enjeux environnementaux de notre siècle honorent ces deux fondamentaux que l’on savoure jusqu’à la dernière bouchée. Dans le verre ? Le très plaisant Clos Botaveau Monopole du Domaine Bonnardot. Il est temps désormais de passer sur l’instant des plats. On opte, sous les conseils avisés de Sébastien Heslot, chef exécutif (passé par Market By Jean-Georges, SO/Paris et Pershing Hall rue Pierre Charron) pour le remarquable ris de veau aux morilles, purée pommes de terre en garniture. La saison est au cœur des préoccupations des équipes aux fourneaux, ça fait plaisir. Et la cuisson est irréprochable. Second plat de haute volée, le princier turbot en croute d’agrumes et cocos de paimpol. La fraîcheur des produits est portée par un élan authentique couronnant le terroir et les régions. On se réjouit, coté sommellerie du Saint-Joseph la cuvée du Papy de Stéphane Montez, suivi du Saint-Romain d’Alain Gras.
On a les bons arômes pour réussir l’accord, c’est essentiel. Au moment du dessert, on découvre la talent fou de la jeune Chef Pâtissière Taïwainaise de 28 ans, Yu Hsie alias « Angèle » qui livre son séduisant mille-feuilles tout en légèreté et ses sublimes profiteroles en tous points régressives. On accompagne ces deux pièces de pâtisserie, dans la tendresse, avec un admirable Oloroso Don Nuno tandis que le chef éxécutif et la sous-cheffe Amicie de Fougerolle nous convient à tester la meringue signature de la maison… Quelle élégance, quel chic. En quittant les lieux, après être passé par les confortables et cosy salons de l’étage, on se dit que les équipes ont décidément grand cœur en faisant à chaque instant au mieux et cela nous importe énormément. Six mois après son ouverture, le temps du rodage laisse place au temps de la joie, des saveurs et des réjouissances. Quelques jours avant notre arrivée, la maison Chanel aurait, dit-on, privatisé les lieux…. Plutôt bon signe, non ?
Journaliste spécialisé en art contemporain et design, Clément Sauvoy est également commissaire d’exposition et collectionneur.
Contact Instagram