A Vincennes, cette table gastronomique étoilée au Michelin en 2019 exprime un attachement aux petits producteurs et aux artisans pêcheurs. Ici, on se laisse porter par le beau produit dans une atmosphère répondant à une seule règle : faire plaisir. Une magnifique adresse à l’univers détonnant !
On connaît avant tout le travail insoumis de ce chef éclairé, mettant un point d’honneur à défendre une cuisine authentique tournée vers « la bonne chair ». Au sein de son royaume où la nature est choyée autant que fantasmée, il établit un style personnel et généreux où le sens du contact humain comble le client. Cette formule sans ambages, où le sourire dicte la passion et l’entraide en cuisine, fera très vite le succès de son adresse de la rue Amelot « Qui Plume la Lune » qui décrocha en 2014 sa première étoile. Plus récemment sa boulangerie-boucherie « Suzanne et Lucien », face à sa brasserie « Les Mérovingiens » à Noisy-le-Grand exprime tout le tempérament de ce Breton pur jus fonctionnant au coup de cœur. En effet, Jacky Ribault est un entrepreneur qui aime les aventures culinaires et les belles conquêtes dans un goût de la terre et de la marmite joyeuse. Formé auprès de Pierre Hermé, Alain Passard et Philippe Legendre, celui qui a donné à son restaurant son propre surnom d’« ours » sait qu’il est important d’aller au bout de ses rêves. C’est donc naturellement vers le repère de L’Ours à Vincennes que l’on décide de faire l’expérience du princier menu en 6 temps « Le Thei de Bretagne ». L’accueil prévenant et le service attentionné de Céline Drouin et d’Audrey Varga en salle nous comblent.
Les avenantes mises en bouche annoncent un raffinement fait de sensations et de plaisirs. Etourdissante, la première entrée nous livre une divine ponctuation qui éveille aussitôt tous les sens avec ses ormeaux poêlés, sa pâte de citron, son syphon fumet de poisson et son jus porto. L’allégresse qui voit le jour dans l’assiette nous conduit ensuite sur une nouvelle décharge de joie en bouche avec l’arrivée flamboyante du thon rouge au four, coulis de cresson, sabayon miso et huile de livèche. On est à la fois pantois, enjoué et réjoui face à cette candeur qui bouscule amoureusement nos papilles. On sent que le chef a mis ici tout son cœur sans génuflexions. Le jeune sommelier Alexandre Cavereau nous promet de belles surprises aussi avec notamment l’annonce d’un élégant vin d’anjou minéral et floral très printanier au caractère légèrement poudré.
L’assiette nous fait prendre notre envol
Le plat suivant nous conforte dans notre intrépidité avec l’audace d’un bouillon japonais dashi froid en gelée, des œufs de truite et de saumon de fontaine, un sorbet de tomate green zebra, salicornes avec, à proximité, une brioche feuilletée citron sésame. On se dit secrètement que notre formidable dégustation a encore tant de choses à nous dire. C’est alors que survient celui que l’on attendait religieusement : le magistral ris de veau façon meunière et anguilles fumée du Val de Loire, sauce betterave, sésame, umebushi. Un ravissant jurançon sec nous fait voir les contreforts des Pyrénées aux terroirs ventilés parcourus par son vent Foehn sec et chaud. L’assiette nous fait prendre notre envol pour se confronter à une autre fabuleuse anthologie, celle de la cane criaxeria avec sa farce au foie, miso fumé, cuisse confite, jus marjolaine, chips de cecina, barba dei fretti. Au sein de cette danse de saveurs et de textures, un duo d’asperges, coulis de cresson et tuile de riz apporte son incroyable bonté à ce paysage de gourmandise telle une pudique confession.
Après un plaisant vin du sud de la Drôme aux notes graphites et compotées, on vibre avec un superbe Saint-Nicolas de Bourgueil aux parfums ronciers, de mûres sauvages et aux tanins heureusement pas drop durs… A l’heure du dessert, l’appétit est intacte et l’esprit vaillant comme jamais car c’est au tour du brillant chef pâtissier Hugo Correia de faire son entrée en scène. On sait que l’on ne sera pas déçus et la curiosité prend le pas face sur l’impatience de l’instant. La farandole de desserts entonne sa douce mélodie dans une virtuosité dont l’ingrédient détient seul le secret : cacahuètes, banane et café communiant avec fraises des bois et roquettes sauvages pour mieux convoquer l’émulsion de lait ribot, le sorbet citron et le macaron azuki. Au sortir de cet accord mets et vins remarquable, sans épate ni ostentation, on se dit que la justesse exceptionnelle de l’assiette n’a d’égale que les superbes compositions de saisons. On aime la sobriété des intitulés autant que ce souffle gastronomique qui s’en dégage. Mais aussi cet engagement ancré dans la durabilité. Quel ours !
Journaliste spécialisé en art contemporain et design, Clément Sauvoy est également commissaire d’exposition et collectionneur.
Contact Instagram