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Maria de Medeiros « Je n’ai pas grandi avec le rêve américain »

La comédienne culte – entre autres – de Henry & June et Pulp Fiction, réalisatrice du plébiscité Capitaine d’avril, est revenue à la mise en scène avec A nos enfants sorti en février dernier. Pour son passage en dvd, rencontre avec Maria de Medeiros au point de vue acéré sur le Brésil et son évolution.

 

« Le temps de développer le film, le pays a changé de visage. Avec des régressions très conséquentes… » Vera (Marieta Severo) face aux militaires.

Comment se retrouve-t-on à mettre en scène au cinéma une pièce de théâtre que vous avez interprétée au Brésil ?
Lorsque j’ai reçu cette invitation pour jouer la pièce de Laura Castro au Brésil, cela m’a beaucoup surpris. En la découvrant, je l’ai trouvée immédiatement passionnante. Non seulement parce que c’est un dialogue très intéressant entre une mère une fille où aucune n’obéit aux stéréotypes habituels. Et qu’il expose en même temps toute une réalité, que je ne connaissais pas, de l’homoparentalité. Ce que cela représente de désirer un enfant dans un couple homosexuel. Au niveau social, administratif, familial… Une odyssée en fait.

Autant qu’un film politique… 
Je me suis dit qu’il y avait vraiment matière à de nombreuses thématiques actuelles. Sans compter un appel d’images très fort. Avec tout un contexte tangible : la ville de Rio de Janeiro, des héroïnes issues d’une classe moyenne qui est rarement abordée au cinéma… Laura était très emballée à l’idée d’en faire un long-métrage. Elle s’est ainsi rapidement muée productrice.

Au sujet d’A nos enfants, Maria de Medeiros dit : « Filmer Rio, c’est un désir que j’avais depuis très longtemps. Un Rio tel que, moi, je le percevais. J’ai souvent été déçue par les films sur Rio. »

Était-ce chose simple de tourner au Brésil ?
Oui. Les équipes sont très efficaces, d’une grande compétence. Évidemment, c’est toujours compliqué de mettre sur pied un film. Ce qui est intéressant, c’est que le sujet d’A nos enfants est né en 2013, à un moment où le Brésil connaît avec l’élection de Lula une grande foi dans la démocratie. Il y avait alors des choses beaucoup plus avancées là-bas qu’en Occident. Par exemple, les enfants issus de couples homosexuels avaient déjà le droit de prendre le nom des deux mères ou des deux pères. J’ai aussi été étonnée par la facilité qu’avaient de jeunes artistes à réaliser leurs projets. Nous étions dans cette mouvance très positive. Mais le temps de développer le film, le pays a changé de visage. Avec des régressions très conséquentes. Nous avons tourné la fin d’A nos enfants entre les deux tours des élections qui ont vu la victoire de Bolsonaro. Après le premier tour, je suis arrivée sur le tournage. Toute l’équipe était en pleurs.

Il y a un dialogue assez édifiant entre deux couples homosexuels. Ils partagent la même obsession de la parentalité et du mariage. Voire de la propriété. Seraient-ce finalement, eux, les derniers conservateurs ?
Absolument. C’est quelque chose que nous avons tenu à montrer. Comment la génération des enfants, à bien des égards, est devenue beaucoup plus conservatrice que celles de parents qui s’étaient battus pour la démocratie. Cette génération plus « libérale » s’est désintéressée du passé de leurs aînés. Ce qui a permis, d’une certaine manière, l’arrivée en force de l’extrême-droite.

Rio est l’autre acteur du film…
Filmer Rio, c’est un désir que j’avais depuis très longtemps. Un Rio tel que, moi, je le percevais. J’ai souvent été déçue par les films sur Rio. Je ne partageais pas leur perception. Soit vous êtes dans la carte postale des plages et des filles en micro-bikini. Soit dans  l’exacerbation de la pauvreté et de la violence.

« Le temps de développer le film, le pays a changé de visage. Avec des régressions très conséquentes… » Vera (Marieta Severo) avance face aux militaires.

Portugaise, ayant grandi en Autriche, des études à Paris, des films en France comme à Hollywood… Avez-vous toujours eu la bougeotte, Maria de Medeiros ?
C’est vrai !  J’aurais toujours choisi un métier qui me porte à voyager. C’est vraiment ce qui me passionne depuis l’enfance. Peut-être parce que nous étions des Portugais qui habitaient en Autriche. Souvent, nous faisions le voyage en voiture entre Vienne et Lisbonne. Cette traversée de l’Europe, en contact avec d’autres cultures, d’autres langues, m’a beaucoup imprégnée.

Vous auriez pu faire une très belle carrière aux Etats-Unis. Aucun regret ?
Je n’ai pas grandi avec le rêve américain. Je suis d’une génération, au contraire, très critique de l’American way of life. J’ai adoré mes expériences avec Philip Kaufman et Quentin Tarantino. Ce sont de grands auteurs, des gens extrêmement créatifs, avec de grands critères artistiques. Mais je n’ai jamais été tentée de m’installer aux Etats-Unis. Dans ces années-là, je n’avais qu’une obsession : réaliser un film sur la Révolution des œillets. Il me fallait vraiment revenir en Europe.

Vous ne semblez pas changer avec les années. Avec qui avez-vous passé un pacte ?
C’est très gentil. Je crois avoir passé un pacte avec l’enfance. Reste à voir jusqu’à quand elle continuera à me donner un peu de joie.

Propos recueillis par Jean-Pascal Grosso

A nos enfants de Maria de Medeiros avec Marieta Severo, José de Abreu, Laura Castro… Epicentre Films éditions. 22,99€.